Toutes les publications
Actualités

Le commerce post-pandémie et le rôle des municipalités – réflexions COVID-19

4 juin 2020

La pandémie de COVID-19 a nécessité des mesures exceptionnelles afin de réduire sa propagation. Les commerces non essentiels ont dû fermer leurs portes, ce qui représente plus de 80 % des commerces. Restaurants, salons de coiffure, commerces de détail, etc.; localisés sur les rues commerciales et dans les cœurs villageois, ces établissements sont bien souvent des PME détenues par des entrepreneurs locaux. Ceux-ci risquent actuellement la faillite dans une proportion de 30 % à 50 %, selon plusieurs spécialistes.

Rue commerçante Saint-Denis – Source: Ville de Montréal

Avant la crise, le commerce de détail était déjà dans une situation précaire. Le commerce en ligne et l’augmentation constante de la superficie commerciale constituaient des enjeux importants pour les établissements brique et mortier implantés sur les rues commerciales. Cette fermeture forcée survient donc à un bien mauvais moment. Paradoxalement, plusieurs d’entre eux ont été forcés d’innover en raison de la pandémie et de se lancer dans la vente en ligne afin de compenser l’absence de vente en magasin. Malgré les appels de soutien à l’achat local des dernières semaines, d’importantes files d’attente sont visibles devant les magasins de grandes surfaces, tels que Wal-Mart et Costco. Il apparaît incertain que cette promotion de l’achat local et des commerces de proximité perdurera à moyen et long terme, malheureusement.

Les centres commerciaux sont également affectés. Ceux-ci vivent des périodes difficiles qui pourraient s’étirer longtemps compte tenu de la faillite potentielle de bannières importantes. La difficulté de trouver de nouveaux locataires dans les prochains mois pourrait s’avérer critique dans certains cas. Les propriétaires de ces centres commerciaux chercheront sans doute à accélérer leur diversification en misant sur les commerces axés sur l’expérience : restauration, récréation, bien-être, etc. D’autres chercheront possiblement à y intégrer des espaces de bureaux.

Les municipalités ont un rôle important à jouer pour soutenir les commerçants et assurer le maintien de commerces et de services de proximité à la population. Bien que le développement économique ne soit qu’une responsabilité complémentaire à leurs missions premières, les établissements commerciaux correspondent à une partie substantielle de leur base de taxation foncière. À cet égard, les rues commerciales sont généralement plus productives fiscalement que les pôles de commerces de grande surface. De plus, les commerçants présents sur ces rues contribuent davantage à l’économie locale. Les municipalités ont donc grandement avantage à les soutenir!

À titre d’urbanistes et de professionnels de l’aménagement, plusieurs de nos actions peuvent contribuer à la survie et la relance des rues commerciales. D’un point de vue réglementaire, bien que l’effet puisse prendre des années à se concrétiser pleinement, la gestion des usages sur le territoire par le zonage permet notamment la mise en place des actions suivantes :

  • Réduire au minimum nécessaire la procédure d’approbation et les tarifs associés à l’obtention d’un permis de terrasse;
  • Limiter l’ouverture de nouveaux secteurs commerciaux qui ne font qu’augmenter l’offre dans un marché fragile;
  • Autoriser l’usage bureau sur les rues commerciales afin de favoriser une mixité de clientèle;
  • Diversifier des types de commerces autorisés sur les rues commerciales pour favoriser leur résilience, quitte à contingenter certains usages qui deviennent trop présents;
  • Limiter la dimension des épiceries afin de réduire la taille du bassin de population qui leur est requis et, ainsi favoriser des épiceries locales de quartier plutôt que des grandes surfaces en périphérie des milieux urbains;
  • Régir la localisation des commerces de vente et de consommation d’alcool afin que ces générateurs d’achalandage demeurent sur les rues commerciales et contribuent à leur dynamisme et leur relance.

Des actions reliées au design urbain devraient également être envisagées et posées, dès cet été et de manière durable :

  • Offrir plus d’espace pour l’aménagement de terrasses extérieures, quitte à piétonniser certaines rues, alors que l’été est souvent la période de l’année durant laquelle les bars et restaurants font un profit suffisant pour compenser les périodes plus creuses;
  • Améliorer l’ambiance des rues, notamment par l’aménagement de larges trottoirs, la plantation d’arbres de rues formant une canopée, la réduction de la vitesse des véhicules, l’ajout de mobilier urbain permettant d’allonger la durée de séjour des passants et d’offrir un lieu de pause, notamment pour les personnes âgées;
  • Assurer un accès facile aux rues commerciales pour la population vivant à proximité, par la sécurisation des intersections pour les piétons, l’ajout de traverses piétonnières à mi-parcours lorsqu’un îlot a plus de 300 mètres, la mise en place d’un réseau cyclable de qualité et de supports à vélos en quantité suffisante, etc.

 

Les municipalités doivent également être proactives dans l’anticipation et la planification du redéveloppement des centres commerciaux. La crise actuelle risque d’accélérer leur transformation. Il s’agit là de projets de reconstruction de la ville sur la ville, sur des sites de grande taille et dans certains cas, localisés à des emplacements relativement centraux. Dans ces cas, il s’agit d’opportunités exceptionnelles de création de milieux de vie mixtes et compacts, où habitations, bureaux, commerces et loisirs pourraient s’imbriquer dans un environnement à échelle humaine, en complémentarité aux quartiers adjacents.

Enfin, d’un point de vue fiscal, les municipalités devraient favoriser les commerces ayant pignon sur les rues commerciales. Elles ont le pouvoir de créer des sous-catégories de taxation visant à réduire le fardeau fiscal des commerces de petites surfaces qui y sont généralement localisés, plutôt que de continuer à favoriser les commerces de grande surface, souvent localisés en périphérie.

Avec un cadre légal approprié, d’autres actions pourraient épauler les petits commerçants, notamment en limitant les hausses des loyers commerciaux par un contrôle du prix ou par une taxe applicable aux locaux commerciaux vacants, par exemple.

Les commerçants et entrepreneurs sont des parties prenantes importantes de la communauté. Ils emploient nos voisins et réinvestissent dans l’économie locale. Souhaitons-leur un avenir radieux et soutenons-les, non seulement en privilégiant l’achat local, mais en mettant aussi en place les conditions propices à leur relance et leur succès!

 

Image de couverture : Rue Saint-Jean – Source: Bourdon du Faubourg