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La vie six pieds sous terre

10 janvier 2014

Par Stéphanie Rocher, Agente de projet  I  Urbaniste-stagiaire

Le sous-sol est une ressource de plus en plus exploitée, mais pas toujours dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles. Les centres-villes les plus denses de nos mégalopoles voient se développer leur sous-sol comme des espaces de vie, d’activité économique et sociale. Partout dans le monde, les villes se mettent à développer leur sous-sol, que ce soit à Tokyo, Paris, Amsterdam ou ailleurs. Le Montréal Intérieur est un élément distinctif de Montréal à l’étranger. Expression de l’adaptation des hommes à la ville nordique, une deuxième ville se cache sous nos pieds : avec ses 32 km de tunnels, le Montréal Souterrain est le plus vaste réseau souterrain au monde. En plus du réseau de métro, 80% des bureaux du centre-ville y sont reliés et 35% des commerces. D’ailleurs, l’organisme Art Souterrain expose jusqu’au 16 mars prochain des œuvres d’art contemporain dans les sous-sols de la ville, afin notamment de mettre en valeur ce patrimoine architectural. Ailleurs dans le monde, l’espace souterrain apparaît de plus en plus comme une solution pour les aménagistes face aux problèmes environnementaux de surface et face à la raréfaction des espaces disponibles. La ville souterraine constitue une avenue prometteuse et encore peu explorée pour le développement de centre-ville saturé.

Le potentiel de la ville souterraine demeure toutefois difficile à évaluer, ce qui dissuade les décideurs d’y consacrer d’importants investissements. Pourtant, de nombreux avantages découlent de la construction souterraine. D’une part, la construction d’infrastructures sous la surface libère de la surface au sol, ressource de plus en plus limitée. Ce gain d’espace permet ainsi d’implanter de nouvelles activités et de former une ville plus compacte et plus mixte.

Construire en sous-sol reste dispendieux et certains bâtiments souterrains peuvent coûter jusqu’à cinq fois plus cher que des constructions usuelles à l’air libre. Malgré des coûts de construction élevés, ces investissements peuvent être rentabilisés dans le cadre d’agrandissement de locaux existants ou dans des villes déjà saturées de construction. Cette rentabilisation des espaces passe par certaines conditions, notamment le fait que les bâtiments soient reliés entre eux ou que l’énergie géothermale pour le chauffage et la climatisation soit bien exploitée. Les débris des travaux peuvent également être vendus et peuvent servir à stabiliser les routes ou à fabriquer du ciment, etc.

L’approche Deep City

Pour parvenir à évaluer le potentiel souterrain, une méthode a été élaborée par l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) : l’approche Deep City. Ce concept permet d’avoir une approche globale de la gestion du sous-sol urbain et d’outiller les planificateurs urbains pour qu’ils puissent utiliser les ressources du sous-sol avec une efficacité accrue. Touchant autant au domaine de l’ingénierie que de l’économie, l’objectif premier de l’approche est de proposer un plan directeur qui documente l’utilisation et la valeur des parcelles souterraines. Tout est réfléchi : l’espace 3D disponible en sous-sol, l’eau souterraine potable, les matériaux excavés susceptibles d’êtres valorisés, la ressource géothermique utilisable pour le chauffage et la climatisation, etc. Très peu de villes disposent d’un tel plan, car plus souvent, les efforts sont concentrés à la surface. La méthode croise la demande d’utilisation des sous-sols à leur potentiel d’exploitation. Il est ainsi possible d’aller chercher des gains substantiels en potentiel de croissance en exploitant les 100 premiers mètres sous la surface de la Terre pour des projets de construction. Le concept de Deep City permet également d’aider les villes à étendre leur champ d’intervention juridique en sous-sol, des espaces pour lesquels sont rarement prévus de prescriptions précises pour l’aménagement.

Quatre villes suisses et quatre métropoles chinoises ont éprouvé cette méthode, dont la ville chinoise de Suzhou, qui en 2015 accueillera 5 millions d’habitants. Le potentiel d’expansion souterrain de Suzhou a donc été minutieusement étudié par Huanqing Li, qui a terminé sa thèse au Laboratoire de recherches en économie et management de l’environnement de l’école polytechnique fédérale de Lausanne. Des cartes en trois dimensions illustrant la valeur du terrain et intégrant  les contraintes environnementales ont ainsi été présentées au gouvernement.

Des pistes à suivre pour Montréal

À Montréal, l’amélioration du réseau souterrain actuel passerait par un cadre intégré de planification et de gestion de l’espace souterrain. La Ville Centre doit se doter d’un plan directeur, actuellement inexistant, qui dicterait les interventions publiques à adopter. Une étude économique générale, basée sur l’analyse des besoins socioéconomiques et l’évaluation de l’offre d’espace souterrain disponible, serait une deuxième étape. Enfin, des stratégies de gestion et d’administration permettront de guider l’urbanisme souterrain.

Cela signifie-t-il que notre avenir résidentiel à tous sera sous terre? Probablement pas. Mais la construction d’infrastructures sous la surface du sol amène certains bénéfices qui doivent être analysés. Il s’agit désormais de développer de façon intelligente notre souterrain et convaincre d’autres villes de suivre la mouvance.

 

Source : Kai Wu,   stuak.wordpress.com

Référence : Overney, Jan,  2013. « Trop à l’étroit, la ville regarde vers le bas ». EPFL-INTER-REME : École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Institute de l’urbain et des territoires, Laboratoire de recherche en économie et management de l’environnement.

Aftes comité espace souterrain, 2012. « Gestion durable des ressources souterraines de la ville : le concept Deep City ». Journal Tunnels et Espace Souterrain, N° 234 novembre-décembre 2012. http://www.aftes.asso.fr/doc_gd_public/article_fichier/T234-542_551Deepcity.pdf

CNRS-PACTE-LATTS-EPFL Ecole thématique d’Aussois, 2010. – « Un marché caché sous la ville » Archives ouvertes en Science de l’Homme et Société/Science politique. http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00517801

Image: Montréal Centre-ville, 2021