
De l’urbanisme tactique à l’urbanisme prototypique et synchronique
26 décembre 2013

Par Stéphanie Rocher, Urbaniste-stagiaire et Louis-Michel Fournier, Urbaniste
Depuis les dernières décennies, l’urbanisme évolue à une vitesse impressionnante, passant d’une approche fonctionnelle à une approche empirique. Force est de constater que les infrastructures lourde et coûteuse ne sont plus l’unique solution dans un contexte où les villes évoluent plus vite que leur durée de vie utile. Pour évite un décalage constant entre l’aménagement urbain et les besoins actuels, l’urbanisme temporaire, qui a peu à peu pris la voie de l’urbanisme tactique ou pop-up urbanism, semble un nouvel incontournable. S’éloignant des pratiques conventionnelles, l’urbanisme tactique permet de réaliser des changements spontanés dans l’environnement urbain de façon rapide et à faible coût, faisant alors évoluer l’espace public au rythme de la ville.
Le mouvement est né d’une intervention urbaine spontanée et éphémère, exécuté par le collectif d’artiste Rebar, qui a loué une case de stationnement pour y aménager un café-terrasse à San Francisco. S’ensuivit de jardins communautaires, de parklets, de performance artistique sur rue, d’installations de microarchitecture, etc. L’objectif de telles interventions est la réappropriation citoyenne de l’espace public de manière ludique et festive, tout en créant une discussion à propos de ses différents potentiels. Ce concept a par la suite été popularisé par le jeune auteur et blogueur Mike Lydon dans sa publication « Tactical Urbanisme – Short term action – long term change », en 2010.
L’urbanisme tactique vise l’expérimentation de l’aménagement : la ville est utilisée comme un laboratoire urbain. Elle repose sur trois principes : l’échelle micro, le faible coût et le court terme. La barrière à l’entrée qu’impose la planification de travaux permanents est éliminée, ce qui ouvre la porte à des initiatives avant-gardistes. De façon concrète, il s’agit donc d’aménager de façon temporaire un espace public, souvent la rue devenue un espace monofonctionnel de transit automobile, afin de le transformer en espace public animé, attrayant et diversifié. Il s’inscrit également dans une perspective à moyen et long terme, interrogeant l’évolution d’un espace désuet tout en permettant de tester la revitalisation de certains secteurs.
Découlant souvent de l’initiative de groupe de citoyen, les projets tactiques peuvent également être initiés par les villes. Le plus célèbre exemple est certainement la piétonnisation de Time Square, qui a interdit aux 115 000 automobilistes/jour de circuler pour redonner la rue aux 350 000 piétons qui s’entassaient sur les minces trottoirs quotidiennement. Conseiller par la firme de l’urbaniste international Danois Ian Gehl, le « Departement of Transportation » a procédé à un aménagement temporaire du site par de la peinture au sol et un mobilier extérieur bon marché. Le succès a été tel que les demandes citoyennes ont été formulées pour améliorer l’aménagement. Comme tout était temporaire, la Ville a pu facilement tester les demandes des citoyens et la place, encore aujourd’hui, est en constante évolution.
Vers l’urbanisme prototypique et synchronique
L’émergence de l’urbanisme tactique force à revoir les normes de l’aménagement urbain de manière à rationaliser et rentabiliser les ressources limitées des pouvoirs publics. La question posée par Ian Gehl exprime bien les enjeux : comment réimaginer la notion de temporaire VS permanent pour assurer que l’environnement urbain évolue en synchronisme avec les changements rapides de cultures urbaines?
Même dans le contexte traditionnellement des aménagements urbains, une configuration de rue ne perdure rarement plus de trente ans dans un secteur central. Avec un monde de financement et d’approbation typique, le processus de design urbain peu s’échelonner sur plus de 10 ans du début de la démarche jusqu’à complétion des travaux. L’importance des ressources financières, de la main d’œuvre, de la durée des travaux, de l’opposition politique ou la désuétude prématurée sont autant de facteurs de risque d’inefficience d’un projet en gestion traditionnelle.
Les initiatives temporaires, lorsqu’intégrées dans une démarche de planification plus large, peuvent répondre à ces enjeux en plus d’agir comme plateforme de participation publique en temps et échelle réels. Il s’agit ici du « prototype urbain » comme outil d’urbanisme contemporain et adapté à son contexte. Repenser le permanent et le temporaire implique aussi une moins grande dépendance aux booms et déclins des cycles immobiliers grâce à une flexibilité accrue des actions qui peut mener, comme l’indique M. Gehl, à la « permanence du temporaire ».
Cette volonté de synchronisation constante n’est donc plus seulement vraie en technologie de l’information, mais elle prendra forme dans la ville. Déjà les panneaux numériques changent en temps réel pour afficher les activités de la Ville. Bientôt, c’est l’aménagement urbain qui évoluera en temps réel pour accueillir une activité, pour s’adapter à la saison ou pour répondre aux nouvelles tendances.