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Créer la ville d’hiver-tissante

17 février 2015

Par Jérémie Vachon, Stagiaire en urbanisme à L’Atelier Urbain

Saison morte, saison basse… Autant de qualificatifs peu reluisants pour dépeindre une saison qui fait pourtant partie de notre identité. En 2012, un documentaire intitulé « Life Below Zero », produit par Barbara Donan et Josh Freed et diffusé par la CBC, fait un constat qui ne surprend guère : nombreux sont les Canadiennes et Canadiens qui, en dépit d’une réputation de guerriers ayant apprivoisé les rigueurs d’un hiver quasi perpétuel, détestent la saison froide. Qu’on parle du Montréalais pantouflard ou des « snowbirds » qui troquent volontiers les -20°C d’ici pour les +20°C qu’offre la Floride en janvier, il faut trouver le moyen de « fuir », voire « oublier » la nordicité qui nous caractérise. Dans le documentaire de la CBC, un intervenant le dit sans détour : « Deep down in our hearts, we’d rather not be a winter people. »

Et si les disciplines de l’urbanisme et du design urbain pouvaient venir en aide et contribuer à raviver notre amour de l’hiver?

Cette saison pose sans contredit un lot de contraintes importantes en termes de design urbain. Nos villes, pour être compétitives économiquement, doivent fonctionner toute l’année. Les gens et les marchandises doivent être mobiles, et nous ne pourrions nous permettre de prendre une semaine de repos à chaque fois qu’arrive une tempête de neige. Au contraire, les machines se chargent d’ouvrir rapidement la voie aux véhicules et piétons (et cyclistes!). C’est à peine si, dans certains arrondissements montréalais, on n’essaie pas d’attraper les flocons de neige au vol pour les empêcher d’atteindre le sol[1]. Et c’est sans compter les désagréments que peut engendrer un important épisode de verglas en plein cœur de l’hiver!

S’inspirer d’ailleurs

Pourtant, de nombreuses villes dans le monde septentrional, en Russie, en Suède ou ailleurs, rivalisent de créativité et d’ingéniosité pour égayer l’hiver pour leurs citoyens, et elles y parviennent!

À Winnipeg, une ancienne zone industrielle, The Forks, a été réclamée et on y retrouve désormais un marché public et un kiosque de location de patins à glace à l’intérieur. À l’extérieur, une splendide patinoire aménagée à même les rivières Assiniboine et Rouge, ponctuée ça et là de tables, de bancs et de petites haltes pour se réchauffer et mettre en valeur certaines traditions des Premières Nations qui peuplent la zone. Les fins de semaine, il y a de l’animation extérieure avec de la musique ou du mobilier temporaire façonné dans la glace et la neige.

Dans certaines villes scandinaves, on utilise le zonage et l’architecture pour rendre l’hiver plus intéressant. En effet, la hauteur des bâtiments à Luleå, en Suède, est limitée à quatre étages SONY DSCpour diminuer l’effet des corridors de vent et permettre un meilleur ensoleillement des rues. À certains endroits, seules les couleurs claires comme l’orangé ou le jaune sont autorisées pour la façade des bâtiments. Ainsi, le cadre bâti ajoute de la couleur et réfléchit davantage la lumière. Des études éoliennes sont menées de façon récurrente, et on plante des arbres de manière à briser les corridors de vent. Les trottoirs du centre-ville sont chauffés pour faire fondre la neige, des études ayant démontré que cette manière de faire générait des économies par rapport à l’enlèvement traditionnel de la neige et réduisait le nombre de chutes et de blessures dues à la présence de glace. Sur plusieurs coins de rue, on retrouve des « hot spots » où on peut se réchauffer les mains à la chaleur d’un foyer.

Et chez nous?

Ces quelques exemples illustrent bien une chose : l’hiver n’est pas une fatalité. Il peut (et doit!) être une saison attrayante, pour autant qu’on sache mettre à profit les joies qu’il offre. Au Québec, il y a de plus en plus de fêtes hivernales, pour les petits et les grands. Le Carnaval de Québec, le Festival Montréal en Lumière, l’Igloofest et la Fête des neiges de Montréal ne sont que quelques exemples émanant de la capitale et de la métropole, avec de très nombreuses initiatives dans les villes de plus petite taille. Des discussions sont en cours entre la Ville de Montréal et Parcs Canada afin que le canal de Lachine soit ouvert au public pour des activités hivernales comme le patin à glace ou le ski de fond. De nombreuses municipalités du Québec sont établies en bordure d’un cours d’eau : il y a certainement là un potentiel récréatif à exploiter. Au niveau de la programmation et de l’évènementiel, il y a déjà du chemin de fait.

C’est davantage au niveau du design urbain qu’il faut innover, en voyant l’hiver comme une opportunité plutôt que comme une contrainte. À quand de grands corridors de patin ou de ski de fond qui puissent être utilisés autant pour le loisir que pour circuler en ville? La route verte du Québec a été aménagée en grande partie dans l’emprise d’anciennes voies ferrées, il existe probablement un potentiel hivernal inexploité en de nombreux endroits dans les villes. N’y a-t-il pas lieu, aussi, de repenser la machinerie qu’on utilise pour déblayer en fonction des aménagements potentiels plutôt que l’inverse? En ce qui concerne les arbres, on sait que les conifères ne tolèrent pas bien la vie en trottoir à cause des sels de déglaçage. Pourtant, ces arbres offrent un potentiel esthétique hivernal très intéressant. Sur la rue Duluth, à Montréal, les conifères ont été plantés en pots, et semblent bien s’en accommoder. Et ils sont si beaux en hiver! Il suffit d’opter pour des variétés ornementales résistantes aux maladies et aux chocs mécaniques.

L’urbanisme et le design urbain sont des disciplines qui doivent imaginer l’espace non comme un lieu statique, mais dynamique. Ceci suppose qu’il soit réfléchi et convivial le jour et la nuit, en été ET en hiver. Il y a un potentiel infini d’espace public à aménager et à animer pour que la ville hivernale redevienne un lieu où on aime vivre plutôt qu’un lieu qu’on souhaite fuir.

[1]Le déneigement des rues non artérielles est une compétence assumée par les arrondissements à Montréal, et les seuils d’accumulation justifiant une intervention varient d’un arrondissement à l’autre. Dans certains arrondissements, dès qu’on a une accumulation de 5 cm au sol, on débute les opérations de déblaiement et de chargement. Dans d’autres, le seuil est fixé à 10 ou 15 centimètres.

 

Photo :

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Sources :

Champagne, S. 2014. Montréal relace son rêve de canal Rideau. La Presse. [En ligne]

URL : http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201412/26/01-4830996-montreal-relance-son-reve-de-canal-rideau.php

Documentaire « Life Below Zero »: http://www.cbc.ca/doczone/episodes/life-below-zero