
À quoi ressembleront nos espaces publics dans les prochains mois ? – Réflexions COVID-19
29 avril 2020

Par Louis Mazerolle, Chargé de projet à L’Atelier Urbain
Depuis plusieurs semaines, la pandémie de COVID-19 nous oblige à adapter notre mode de vie. Les villes, normalement grouillantes d’activités au printemps, sont plus calmes que jamais : centres-villes désertés, absence de terrasses commerciales pour profiter des journées ensoleillées, absence de congestion à l’heure de pointe, rares avions dans le ciel, etc. Jusqu’ici, il a été, somme toute, facile de respecter les règles de distanciation émises par les autorités. Qu’en sera-t-il dans les prochaines semaines et prochains mois, avec l’arrivée des beaux jours durant lesquels la population envahit habituellement les parcs et les rues commerciales ? Beaucoup d’incertitudes demeurent, tant pour le virus que pour les restrictions qui seront imposées. Néanmoins, ce qui apparaît probable est que le retour à la normale pourrait être long. Nous devons donc nous adapter à cette nouvelle « normalité » que sont les mesures de distanciation, les masques, l’absence de foule, etc.
Comme professionnels de l’aménagement, notre rapport à l’espace est bouleversé. La situation et les consignes de distanciation mettent paradoxalement en perspective «l’urbanisme de proximité ». Dans un contexte où les citoyens sont appelés à limiter leurs déplacements à l’essentiel et ne pas se déplacer entre les différentes régions, on reconnait et redécouvre l’importance de l’échelle locale, que ce soit pour se procurer des biens de première nécessité ou pour se dégourdir et se divertir.
Quelques constats rapides peuvent être faits en observant notre environnement et ce qui se déroule ailleurs dans le monde :
- Les gens redécouvrent la marche, comme rarement on a pu le voir, tant pour demeurer actif que pour le bien-être mental que cela apporte. La marche permet de reconnecter avec les distances humaines ; les commerces de proximité peuvent tout à coup paraître beaucoup plus près qu’ils ne l’étaient perçus ;
- Les trottoirs sont généralement trop étroits pour respecter la distance de deux mètres entre deux individus, notamment lorsqu’il y a une file d’attente devant un des rares commerces encore ouverts. En parallèle, la rue et les espaces de stationnement paraissent disproportionnés dans un contexte où leur utilisation a grandement chuté dû au télétravail et au ralentissement des activités commerciales ;
- Le vélo s’avère une alternative au transport collectif qui risque de prendre de l’ampleur dans les mois à venir ;
- Le télétravail et son impact sur la demande en transport ne sont plus uniquement l’objet de simulations virtuelles, mais montrent concrètement leur potentiel à « aplatir la courbe » de la congestion routière ;
- À la différence du transport collectif, la voiture est vue comme une solution adaptée aux mesures de distanciation, ce qui pourrait potentiellement favoriser son utilisation dans les prochains mois, surtout en l’absence d’alternatives.
Malgré le confinement d’une partie de la population, nombreux sont ceux qui doivent continuer à se déplacer pour aller travailler. De plus, tout le monde n’ayant pas accès à un véhicule, la population doit pouvoir se déplacer à pied ou à vélo, tant pour s’approvisionner en produits alimentaires et de première nécessité que pour maintenir une santé physique et mentale. Ces déplacements, qui augmenteront lors du déconfinement progressif, doivent également pouvoir limiter les risques de propagation, notamment en donnant suffisamment d’espace aux individus pour qu’ils respectent une distance minimale entre eux. Enfin, la population devant éviter les déplacements entre les régions, les parcs urbains et riverains sont plus essentiels que jamais pour la population urbaine : pour s’activer, pour être en contact avec la nature, etc. Sans avoir la prétention d’avoir la réponse à cette crise, les constats précédents nous amènent à réfléchir. Des solutions temporaires ou permanentes devraient-elles être mises en place pour cette situation exceptionnelle et grandement imprévisible ? Difficile d’affirmer, à ce stade, si les impératifs transitoires liés à la pandémie entraîneront des transformations pérennes. Néanmoins, voici de premières réflexions, qui pourraient évoluer dans les semaines et mois à venir, au fil de l’évolution de la situation et de la connaissance scientifique.
REDISTRIBUTION DE L’ESPACE PUBLIC
La réduction de la circulation routière offre l’occasion d’allouer plus d’espaces aux gens qui se déplacent à pied ou à vélo avec très peu de répercussions négatives. De plus, la fermeture de nombreux commerces et bureaux réduit grandement la demande en stationnement. L’espace de la rue peut ainsi être redistribué, du moins à court terme, afin d’offrir suffisamment d’espace pour respecter une distance de deux mètres entre les passants. Cela peut être réalisé à très court terme avec des moyens très limités.
Les mesures de redistribution de l’espace public prises par diverses villes de par le monde se résument en 5 catégories :
- Piétonnisation de rue (solution implantée à Kamloops, Colombie-Britannique, Minneapolis, Minnesota, Denver, Colorado, etc.)
- Piétonnisation de rue informelle par les résidents sous un mode de fonctionnement similaire à celui des fêtes des voisins déjà en place dans plusieurs municipalités (solution implantée à Portland, Oregon, à Washington, DC, etc.)
- Rue partagée où seule la circulation locale est autorisée (solution implantée à Westmount, Québec, à Oakland, Californie, et à Burlington, Vermont, etc.)
- Élargissement des trottoirs sur les espaces de stationnement sur rue (solution implantée à Montréal, Québec, et à Austin, Texas, etc.)
- Piste cyclable temporaire (solution implantée à Milan, à Bogotá, à Berlin, à New York, etc.)
- Changement à la programmation des feux de circulation afin de rendre automatique la phase dédiée aux piétons (solution implantée à Ottawa, Ontario, Calgary, Alberta, etc.)
ADAPTATION AGILE DES VILLES POUR SUIVRE L’ÉVOLUTION DES MESURES DE SANTÉ PUBLIQUE
L’urbanisme tactique s’avère une solution particulièrement adaptée aux circonstances actuelles. « Light, quick and cheap » sont les caractéristiques parfaites pour réaliser des changements importants, mais temporaires, à l’espace public. Sans déployer d’importantes ressources, tant humaines que financières, les villes et leurs citoyens peuvent contribuer à se donner l’espace nécessaire pour se déplacer à pied sans risques et sans transformer ces rues en carnaval. La mise en œuvre peut être simple et avec des moyens déjà à la disposition des municipalités : cônes, bollards, clôtures événementielles, signalisation temporaire, bacs à fleurs, marquage au sol, etc.
Quelques enjeux devraient être pris en compte lors de la réalisation de telles interventions. D’abord, la crainte que ces initiatives ne fassent qu’encourager les gens à s’y regrouper et ne respectent pas les consignes de distanciation peut être résolue en l’appliquant non pas à une seule rue, mais en la généralisant à un nombre suffisant de rues, réparties dans tous les quartiers. L’effet d’attraction pourra ainsi être dissipé, comme l’ont déjà démontré de nombreuses villes. Les perceptions sont également à prendre en compte, notamment face aux commerçants qui vivent des temps difficiles ; une bonne communication est donc importante. De plus, leur implantation doit d’abord être dans un objectif utilitaire. Les rues ou tronçons de rue à favoriser sont ceux où il est difficile, voire impossible, de respecter une distance entre deux personnes : rues commerciales où les trottoirs sont étroits ou trop achalandés, devant les commerces où des files d’attente sont requises, sur des axes cyclables importants, au pourtour des parcs et des cours d’eau, etc. En matière de pistes cyclables temporaires, il est nécessaire de surdimensionner ces voies ou de créer des vélorues afin de tenir compte de la distance à respecter. La mise en place, de manière transitoire, de projets déjà planifiés peut parfois être plus facile à réaliser et répond vraisemblablement à des besoins déjà identifiés. Enfin, il convient de demeurer flexible et prêt à ajuster ces aménagements selon la manière dont ceux-ci sont appropriés par la population et en fonction de l’évolution rapide de la présente situation.
Ne sachant pas quelle sera la durée des mesures de distanciation, les petites et grandes villes devraient dès maintenant se questionner sur les moyens à mettre en place pour favoriser le respect des consignes des autorités de santé publique et faciliter la vie quotidienne de leurs résidents.
Adaptations permanentes
Selon l’évolution de la situation, il faudra peut-être s’interroger sur des modifications permanentes. Celles-ci pourraient concerner les standards de conception des aménagements publics. La largeur des trottoirs, notamment sur les rues commerciales, parfois de seulement 1,5 mètre, devrait-elle être minimalement de 3 à 4 mètres ? Devrait-on prévoir des surlargeurs de trottoir, soit sur la chaussée ou en marge avant, devant certains commerces de proximité ? Comment déplacer les gens en transport collectif de manière efficiente sans les entasser les uns contre les autres ? Devrait-on augmenter la largeur des bandes et pistes cyclables ? Il semble trop tôt pour répondre à ces questions et leurs réponses pourraient avoir des conséquences importantes.
Autres sujets de réflexion
Beaucoup d’autres sujets autant, sinon plus importants, suscitent des questions et des réflexions et mériteraient de s’y attarder. En voici certains que nous souhaiterions approfondir : comment l’urbanisme peut-il favoriser l’achat local et, ainsi, soutenir les entrepreneurs locaux ; comment les mesures de distanciation contribuent-elles à la réappropriation des espaces semi-privés tels que les perrons et galerie ; y a-t-il un lien entre ville, urbanisme et pandémie ?